Homogénéiser les catégories contractuelles dans une matière qui manque de clarté serait-elle la solution pour parvenir à l’unité, à l’ordre ? En d’autres termes, la mise en place de modèles déclinables en série dans les systèmes juridiques des États membres est-elle inéluctable à la vue du phénomène de convergence des droits dans l’ordre juridique intégré que constitue l’Union européenne ?
Ne faudrait-il mieux pas prétendre à une forme harmonisation des droits ? La notion d’harmonie évoque en effet un rapport d’adéquation pouvant exister dans l’évolution de différents éléments composant un système juridique. Ces derniers sont alors disposés de manière à former un ensemble cohérent. Dès lors, harmonisation et homogénéisation ne peuvent avoir les mêmes aspirations. Si le premier vise à établir des voies de convergences à partir de contextes différents, le second a pour fonction de gommer les différences afin d’ériger un contexte semblable. Dès lors, les tentatives d’édification de modèles globaux et homogènes peuvent générer des problèmes d’applicabilité au sein des différents ordres juridiques. MONTESQIEU affirmait que « les lois doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites que c'est un grand hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre »[1]. C’est dans cet optique que s’est développé le droit de la commande publique dans l’Union européenne, dont le point d’orgue s’est achevé avec en février 2014 avec la publication des dernières directives relatives à la commande publique. Le droit de l’Union européenne est structuré autour de la summa divisio marché/concession. Or ces deux notions ne se différencient pas par rapport à leur objet mais en fonction de leur méthode de rémunération et notamment de l’existence d’un risque pesant sur le titulaire du contrat. La notion de marché public suppose l’accomplissement d’une prestation (travaux, service, fourniture) rémunérée par un acheteur public dès le constat de son bon accomplissement. La rémunération doit alors être effectuée en une fois (ou alors avec un système d’acompte). L’administration doit également être dotée des moyens nécessaires non seulement à la détermination exacte du besoin sur lequel repose la prestation de son contractant mais aussi des moyens nécessaires au contrôle et à la surveillance de ce dernier. Particularité du droit français des marchés publics : il prévoit des règles spécifiques que ne connaissent pas certains systèmes juridiques comme l’allotissement des prestations[2], l’interdiction des paiements fractionnés[3], la séparation des missions de conception et de réalisation dans la fameuse loi MOP. L’objet de la concession, au sens du droit de l’U.E, se définit quant à lui dans la fourniture de prestations (travaux et services) identiques à celle des marchés publics[4]. La différence avec les marchés réside alors dans le fait que subsiste, pour le titulaire du contrat, un risque de ne pas recouvrer les investissements effectués. Cette notion de risque lié au résultat de l’exploitation a Le droit français de la commande publique s’est construit dans une logique d’harmonisation avec le droit de l’Union. Pour rappel, entre juillet 2015 et avril 2016, les directives européennes « marchés » et « concession » ont été transposées en droit national au moyen de 2 ordonnances et de 2 décrets. Le 9 décembre 2016, le parlement a donné au Gouvernement une habilitation de 24 mois pour codifier le droit de la commande publique. L'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique et le décret n° 2018-1075 du 3 décembre 2018 portant partie réglementaire du code de la commande publique ont ainsi été publiés au Journal officiel du 5 décembre 2018. Le nouveau code de la commande publique entrera en vigueur le 1er avril 2019 ! L’objectif est clair, favoriser la lisibilité du droit de la commande publique. Désormais, l’ensemble des dispositions applicables aux contrats de la commande publique pourront être trouvées au sein d'un code unique, présentées de manière ordonnée et cohérente, qui constitue ainsi un enjeu de simplification administrative pour l'ensemble des acteurs de la commande publique (pouvoirs adjudicateurs, entités adjudicatrices, opérateurs économiques, avocats et magistrats). Le nouveau code comprend 1747 articles et regroupe l’ensemble des règles applicables aux contrats de la commande publique. Il est structuré autour de la division (européenne) entre marchés publics (deuxième partie) et contrats de concession (troisième partie). La première partie est consacrée à des définitions et aux des principes communs de la commande publique. La deuxième partie du code, consacrée aux marchés, est divisée en six livres, lesquels sont ordonnés de manière chronologique et décrivent les différentes étapes de la vie du contrat (Préparation, passation, exécution). Le livre Ier codifie, « à droit constant », les dispositions de l'ordonnance du 23 juillet 2015. Et intègre également les règles issues de la jurisprudence relatives à la résiliation et à la modification des contrats administratifs. On y retrouve également les règles spécifiques du droit français, à savoir la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, la sous-traitance et les délais de paiement, etc. Le livre II est consacré aux marchés de partenariat et le livre III aux marchés de défense ou de sécurité. Le livre IV rassemble l'ensemble des dispositions applicables à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, issues de la loi 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique. Le livre V regroupe les dispositions applicables aux marchés soumis à un régime juridique particuliers, qui échappaient, en raison de leur objet ou de la nature des contractants, au champ d'application de l'ordonnance n° 2015-899. Le livre VI regroupe les adaptations des dispositions de cette partie aux collectivités et territoire d'outre-mer. La troisième partie du code porte sur les contrats de concession et comprend trois livres. À l’instar de l’ordonnancement opéré pour les marchés, le premier livre rassemble l'ensemble des dispositions de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relatifs aux contrats de concession. Le livre II regroupe les dispositions applicables aux contrats de concession soumis à un régime juridique particuliers, qui échappaient, en raison de leur objet ou de la nature des contractants, au champ d'application de l'ordonnance n° 2016-65. Le livre III porte adaptation des dispositions de cette partie aux collectivités et territoire d'outre-mer. Cette codification porte toutefois en elle une innovation majeure. Elle constitue le terreau au sein duquel germera « un droit spécial » des contrats de commande publique. En droit privé, la théorie générale du contrat pose des règles qui s’appliquent à l’ensemble des instruments contractuels. Ainsi, en France, les titre III, IV et IV bis du livre III du code civil envisage ce qui caractérise généralement les contrats, leur condition de validité et leurs effets[5]. Le droit spécial s’analyse alors comme un droit de complément du droit général. Il s’explique par la dépendance des instruments spéciaux vis-à-vis de leur objet, c'est-à-dire de la situation concrète qu’ils régissent[6]. L’idée de spécialisation amène alors à considérer que chaque domaine distille une forme contractuelle adaptée aux nécessités qui sont les siennes, comme si le droit, pour se renouveler devait continuellement s’adapter aux faits. Ce ne sont donc pas les contrats qui sont spéciaux mais le droit qui les réglemente. En droit privé, ces contrats sont généralement des contrats nommés. Ils jouissent en effet d’une dénomination qui leur est propre au sens de l’article 1105 du code civil. Cette idée de spécialisation, de déviance par rapport à la « réglementation générale », caractérise bien selon moi l’état actuel du droit de la commande publique. Specialia generalibus derogant. Le constat est assez simple. La mise en place de dérogations aux règles générales des marchés publics comme notamment l’allotissement, la maîtrise d’ouvrage publique et l’interdiction du paiement fractionné, a contribué à l’émergence d’une catégorie particulière regroupant les caractéristiques des différents instruments contractuels sur lesquels reposaient ces spécificités. Cette catégorie se voit ainsi appliquer un régime qui déroge au droit général des marchés publics. Le Code consacre explicitement cette idée au moyen du "marché de partenariat". Les séries de dérogations accordées autrefois de manières dispersées à plusieurs contrats sont aujourd’hui regroupées dans un dispositif unificateur. Elles concrétisent, en s’appliquant à une catégorie particulière, toute la spécificité de l’instrument. Le marché de partenariat peut être appréhendé comme un dispositif global permettant l’harmonisation des différents partenariats public-privé entrant dans la catégorie des marchés publics au sens du droit de l’Union européenne. Le cadre juridique de l’ancien contrat de partenariat a été rénové et unifié avec celui des divers montages contractuels complexes entrant dans la catégorie des marchés publics au sens du droit de l’Union européenne, dispersés auparavant entre le code des marchés, l’ordonnance du 6 juin 2005, le C.G.C.T, le code général de la propriété des personnes publiques et le code de la santé publique. L'ensemble de ces instruments juridiques est regroupé en un dispositif unique. Le marché de partenariat est qualifié expressément de marché public dès la première ligne du premier article le définissant. En cela, le Code intègre à la définition du contrat les éléments de la jurisprudence Sueur du Conseil d’État[7]. Dans la mesure où le risque d’exploitation n’est pas transféré au partenaire privé, ce dernier entre dans la catégorie des marchés car il est un contrat onéreux dont la mission globale est rémunérée par un prix payé par l’acheteur public durant toute la durée du contrat. Le marché de partenariat possède un objet global de ces instruments comprenant la conception, le préfinancement, la réalisation, l’exploitation et l’entretien d’un équipement. La conjonction de ces deux éléments (globalité de la mission et fractionnement du paiement) lui confère ainsi sa spécialité par rapport aux marches publics. L’absence de risques significatifs pesant sur le partenaire dans la phase d’exploitation-maintenance de l’ouvrage (si toutefois elle figure dans les missions du partenaire) empêche de le qualifier en tant que concession. La France a donc choisi de transposer les règles générales de l’Union en les adaptant par rapport à ses règles propres mais en créant un instrument spécifique permettant d’y déroger ! Après tout comme le disait COCTEAU « L’harmonie c’est la conciliation des contraires par l’écrasement des différences ». Espérons qu’elle puisse subsister encore longtemps… [1] MONTESQUIEU, Esprit des lois, tome 2, la Pléiade, p. 237. [2] Article 32 de l’ordonnance 2015-899, précitée. [3] Article 60 de l’ordonnance 2015-899, précitée. [4] V. Article 5 de la directive 2014/23/UE. [5] Article 1100 à 1386-1 du code civil [6] Article 1105 du code civil français : « Les contrats, qu'ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du présent sous-titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux. Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières ». [7] CE, 29/10/2004, Sueur et autres, Rec., p. 394, précité.
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François WilinskiAvocat Archives
Décembre 2020
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