Illustration intéressante de l'utilisation d'un texte européen par la Cour de cassation, en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique : Des propriétaires d'un terrain affecté à la création d'espaces verts et donc inconstructible, ont utilisé ce que l'on appelle le droit de délaissement et ont demandé à la collectivité d'acquérir leur parcelle. Il est intéressant de noter que le terrain en question était situé à Saint-Tropez. En 1983, le juge fixe la valeur du bien à la somme de 800 000 francs (soit 122 000 euros). 25 ans plus tard, et alors qu'aucun espace vert n'a été créé, la commune modifie les règles d'urbanisme , rend le terrain constructible et le revend à une personne privée pour la somme de 5 320 000 euros ! Le droit français ne permet pas aux propriétaires d'obtenir la restitution de leur terrain ou l’indemnisation de leur bien, alors même que la commune a réalisé une plus-value 40 fois supérieure au prix d'achat du terrain en modifiant des règles d’urbanisme qu'elle n'a jamais matérialisé (les espaces verts n’ayant jamais été plantés !). En effet, un propriétaire d’un fonds grevé d’un emplacement réservé dispose toujours du droit de délaissement, qui consiste à enjoindre à la collectivité publique d’acquérir le bien faisant l’objet de la réserve ou de renoncer à ce que le bien soit réservé. Un propriétaire exproprié peut obtenir quant à lui la rétrocession du bien si celui-ci n’a pas reçu dans les cinq ans la destination prévue par l’acte déclaratif d’utilité publique. En revanche ces deux possibilités ne sont pas cumulables ! En d’autres termes, si le propriétaire a enjoint à la collectivité d’acquérir son bien car la servitude d’urbanisme l’empêche de jouir pleinement de ce dernier, il ne peut pas dans le futur faire usage du droit de rétrocession (Civ. 3e, 26 mars 2014, n° 13-13.670). Le Conseil constitutionnel, dans une décision assez laconique sur le plan de la motivation, a considéré que cette impossibilité n’était pas contraire à la constitution puisque le droit de délaissement constitue une réquisition d'achat à l'initiative des propriétaires de terrains , le transfert de propriété résultant de l'exercice de ce droit n'entre donc pas selon lui dans le champ d'application de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Par ailleurs, le Conseil estime : « qu'en accordant aux propriétaires de terrains grevés d'un emplacement réservé le droit d'imposer à la collectivité publique, soit d'acquérir le terrain réservé, soit de renoncer à ce qu'il soit réservé, le législateur n'a porté aucune atteinte à leur droit de propriété » (C.C 21-06-2013, n° 2013-325-QPC) La Cour de cassation fait naturellement sienne cette argumentation mais accorde toutefois un droit à l’indemnisation des propriétaires sur le fondement de la convention européenne des droits de l’homme, plus particulièrement de l’article 1er du premier protocole additionnel, lequel énonce que toute personne a droit au respect de ses biens. La juridiction suprême va en effet estimer que la parcelle en cause « constitue un bien protégé » au sens de ce texte et considère que le refus de toute indemnisation dans un cas comme celui de l’espèce constitue une ingérence dans l'exercice de ce droit. Si cette ingérence « est justifiée par le but légitime visant à permettre à la personne publique de disposer, sans contrainte de délai, dans l'intérêt général, d'un bien dont son propriétaire a exigé qu'elle l'acquière », (…) il convient toutefois de s'assurer qu’elle ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux et, en particulier, qu'elle est proportionnée au but légitime poursuivi ». Ainsi, la réserve destinée à l’implantation d’espaces verts, que la commune n’a pas mise en œuvre , et la modification des règles d’urbanisme qu’elle a réalisé avant de revendre le terrain pour rendre le terrain constructible, ont permis une vente moyennant un prix de 5 320 000 euros. La Cour estime que cette mesure porte une atteinte excessive au droit au respect des biens des anciens propriétaires, au regard du but légitime poursuivi. Par suite , en rejetant la demande en paiement de dommages-intérêts formée par les propriétaires, la cour d’appel a violé la convention européenne des droits de l’homme. L’arrêt est cassé et l’affaire renvoyée devant la Cour d’appel de Lyon. https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/troisieme_chambre_civile_572/399_18_42116.html
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François WilinskiAvocat Archives
Décembre 2020
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