« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément »
La célèbre citation de Nicolas BOILEAU s’applique totalement à la question posée dans le titre de ce post ! Cette dernière, volontairement raccourcie pour attirer la curiosité du lecteur, est en réalité assez fausse sur le plan juridique. Or si le débat, sur le plan moral, fait rage entre les défenseurs de la cause animale et les amateurs de spectacles mettant en scène des animaux sauvages, il n’en demeure pas moins que sur le plan juridique, la question ne peut être posée qu’à l’aune du concept de police administrative et plus particulièrement par rapport à la notion d’ordre public. En effet, lorsque le Maire d’une commune interdit par un arrêté municipal l’installation d’un établissement de spectacle itinérant, il le fait sur le fondement de son pouvoir de police administrative. À ce propos, il faut toujours appréhender les concepts simples avec une particulière défiance. Les termes « pouvoir de police » renvoient plus, dans l’acception juridique, au sens matériel qu’au sens organique, c’est-à-dire à l’activité plutôt qu’à l’institution administrative (la police nationale). En droit administratif, l’activité de police représente l’ensemble des mesures administratives tendant à imposer à l’exercice des libertés de chacun les limites et la discipline exigée par la vie en société ». Le principe est alors, comme le mentionne le professeur CHAPUS, que les limitations apportées aux libertés par l’autorité de police ne sont légales que si et dans la mesure où le maintien de l’ordre public les rend nécessaires. Pour revenir à notre sujet, en interdisant à un établissement de spectacle itinérant détenant des animaux sauvages de s’installer sur le territoire d’une commune, le Maire de cette dernière porte nécessairement atteinte à la liberté d’entreprendre, qui a valeur constitutionnelle. Dès lors, cette mesure d'interdiction ne peut être légale que si elle est justifiée pour empêcher un trouble à l'ordre public. C’est donc autour de cette notion que se cristallise la question de la légalité des arrêtés municipaux qui interdise l’installation de cirques avec animaux sauvages. En d’autres termes, la détention en captivité d’animaux sauvages pour les besoins d’un spectacle trouble t’elle l’ordre public ? Si la réponse à cette question est affirmative, alors les arrêtés municipaux sont légaux, si elle négative, alors le juge administratif devra les censurer ! Il convient donc de s’interroger sur ce que recouvre la notion d’ordre public. Maurice HAURIOU, l’un des pères fondateurs du droit administratif français, disait de l’ordre public qu’il était : « au sens de la police, l’ordre matériel et extérieur. » Cette définition signifie que l’ordre public ne permet que d’éviter les désordres visibles. Ainsi l’ordre dans les esprits et dans les mœurs ne devrait pas relever de la police dans les régimes dits libéraux. Ce ne serait donc pas au Maire d’une commune de décider, sur le plan moral, de ce qui doit être autorisé ou interdit. La définition de l’ordre public provient de la loi du 22 décembre 1789, reprise par la loi du 4 avril 1884 portant organisation communale et figurant actuellement dans le Code Général des Collectivités Territoriales, dans lequel l’article L 2212-2 énonce que « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » Théoriquement, l’ordre public devrait se limiter à la trilogie « sécurité, sureté, salubrité ». Ainsi, aucun cirque détenant des animaux sauvages ne pourrait se voir opposer un arrêté d’interdiction s’il ne porte pas atteinte à l’une de ces composantes. L’on rappellera à toutes fins que la règlementation française est assez contraignante et qu’un arrêté ministériel du 18 mars 2011 fixe des conditions très stricte de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants. Des cirques ne respectant pas ces prescriptions pourraient être sanctionnés a posteriori, sur le fondement de la violation des obligations que leur impose leur activité professionnelle. Par ailleurs, une telle décision ne saurait être fondée sur la circonstance que les cirques ne pourraient offrir à ces animaux un espace et des conditions de détention adaptées à leurs exigences biologiques, motif qui ne relève pas de la garantie de l'ordre public au sens de la jurisprudence administrative (tribunal administratif de Toulon, 28 décembre 2017, n° 1701963). Par suite, si l’on s’en tient à une conception rigoriste de l’ordre public, alors ces arrêtés doivent être considérés comme illégaux dans la mesure où l’atteinte qu’il porte à l’exercice d’une liberté n’est pas justifiée pour empêcher la survenance d’un trouble à l’ordre public. Toutefois, une brèche a été ouverte en jurisprudence et pourrait être utilisée par le juge. Dans le cadre d’une célèbre jurisprudence de 1995, le Conseil d’État a considéré qu’un arrêté interdisant des spectacles fondés sur un handicap physique (lancer de nains) était légaux au motif que ces activités étaient attentatoires à la dignité de la personne humaine, « composante de l’ordre public ». La notion d'ordre public, comme élément central des buts admis des interdictions de police, a donc évolué à cette époque, sous l’effet d’une décision rendue par la plus haute juridiction administrative française, faisant entrer une dimension morale dans sa définition. Par suite, le juge administratif pourrait une nouvelle fois faire évoluer sa jurisprudence et consacrer le concept « de dignité de l’être vivant » en lieu et place de celle de dignité de l’être humain. Dans cette hypothèse toute captivité, toute détention d’animal sauvage, apparait indigne à son existence parce que totalement contraire aux exigences biologiques et aux aptitudes de l’animal. Si une telle notion était consacrée, alors les arrêtés seraient légaux. Une nouvelle étape serait toutefois franchie dans fixation de la notion d’ordre public. En fonction de ces éléments, il appartient en conséquence indiscutablement au seul juge administratif, d'examiner, espèce par espèce, la licéité du motif de la mesure de police litigieuse. Demeurera toujours en suspens, dans un État proclamé comme étant de droit, la question de la légitimité d’une administration consacrée comme autorité de censure des mœurs de ses administrés… O tempora, o mores ! François WILINSKI
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François WilinskiAvocat Archives
Décembre 2020
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