Aux termes de l'article 761-1 du Code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens… ».
Les frais non compris dans les dépens ou "frais irrépétibles" sont par exemple, les honoraires, librement fixés par l’avocat, les frais d’une consultation juridique, demandée à un universitaire, des frais de déplacement… Ces frais ne sont donc pas absolument nécessaires à la différence des dépens rendus indispensables par le procès (frais d’expertise par exemple). Il arrive fréquemment que l’administration, dans le cadre d’un litige en cours devant le juge administratif, constate, à la suite de la communication des écritures du requérant, que l’acte édicté est manifestement illégal. Elle peut alors prononcer le retrait de la décision litigieuse. Le retrait est la disparition rétroactive de l’acte. Ce dernier perd donc ses effets, pour le passé comme pour l'avenir. Le requérant peut donc être tenté, et même souvent invité par la juridiction, à se désister de l’instance en cours. Toutefois, cet incident d’instance n’a été conditionné que par le retrait opéré par l’administration, retrait de pure opportunité qui fait souvent suite à l’introduction d’un recours par un avocat, et génère donc des frais de justice au sens de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Lorsqu’un requérant se désiste, il est réputé se désister également de sa demande de remboursement des frais non compris dans les dépens, sauf s’il a formellement maintenu cette demande lors de son désistement (CE, 7 mars 1994, Mme Audoubert, n° 105647). A contrario, le désistement du requérant ne fait pas obstacle à ce que le défendeur demande ultérieurement le bénéfice de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (CE, 3 décembre 2014, Mme Spicher-Bernier, n° 363846). En pratique, les magistrats considèrent souvent qu’un désistement, c’est-à-dire la manifestation par le requérant de sa volonté de renoncer aux prétentions exprimées dans sa requête, doit être pur et simple et ne peut donner lieu à l’octroi des frais de l’article L. 761-1. Cette pratique, constatée par les avocats, est manifestement contraire à la jurisprudence du Conseil d’État, lequel estime que les incidents de procédure sont sans influence sur l’application des dispositions précitées (CE, 26 octobre 1992, M.Tosseri, n°106963 et CE, 20 mai 1994, M. Martel, n°138070). Le cabinet WILINSKI a choisi, stratégiquement, de toujours maintenir l’ensemble des demandes en cas de retrait par l’administration, en cours d’instance, de la décision faisant l’objet du litige. Il invite toutefois la juridiction, si elle le souhaite, à prononcer un non-lieu, la requête pouvant être considérée comme sans objet en cours d’instance à la suite d’une décision de l’administration donnant satisfaction au requérant. Dès lors, c’est l’administration qui doit être regardée comme la partie perdante (CE, 13 mars 1991, Conate, n°121636) et supporter la charge des frais de l’article L. 761-1 du CJA Au surplus, le fait que le requérant ait demandé le remboursement des frais non compris dans les dépens postérieurement à la décision ayant conduit au non-lieu à statuer ne fait pas obstacle à ce que le juge puisse accorder ce remboursement (CE, 25 octobre 2006, Société AGDE Distribution, n°273954). Il est toutefois plus prudent de les solliciter rapidement, c’est-à-dire dès connaissance de la décision de retrait. Cette stratégie s’est avérée payante ! Dans le cadre d’un litige portant sur un refus d’imputabilité au service d’un accident de travail, l’administration a décidé de retirer l’acte litigieux avant l’audience de référé. Nous avons maintenu l’ensemble de nos demandes et inviter la juridiction à prononcer un non-lieu. Le juge a estimé, sur le fondement des dispositions combinées des 3° et 5° de l’article R. 222-1 du CJA, selon lesquelles « les présidents de formation de jugement des tribunaux (…) peuvent, par ordonnance ; (…) 3° Constater qu’il n’y a pas lieu de statuer sur une requête (…) ; / 5° Statuer sur les requêtes qui ne présentent plus à juger de questions autres que la condamnation prévue à l’article L. 761-1 ou à la charge des dépens. (…) » ; que le retrait d’une décision administrative rend sans objet la requête tendant à la suspension de cette décision, qu’en l’espèce le retrait était postérieur à l’enregistrement de la requête et qu’il n' y avait dès lors pas lieu à statuer sur la demande de suspension. En revanche, le juge a estimé qu’il y avait lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’administration, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme demandée par le requérant au titre des frais exposés et non compris dans les dépens . (TA LILLE, n°1811502, Ord. du 31/12/2018). François WILINSKI Avocat au Barreau de Lille
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Dans la tragédie de Sophocle, le Roi de Thèbes Créon, fut confronté à un dilemme insoluble. Sa propre nièce, Antigone, coupable d’avoir donné à son frère Polynice un piètre tombeau en dépit de l’interdiction du souverain, devait être condamnée à mort pour son forfait. Deux choix s’imposèrent alors à lui, appliquer une sentence allant à l’encontre de l’avis du peuple de la cité, de la famille royale, et surtout des lois divines ou se raviser et démontrer aux yeux de tous la faiblesse d’un pouvoir dont il n’était que le dépositaire.
Les débats portant sur l’intégration en droit français d’un référendum d’initiative « populaire » procèdent d’une problématique tout aussi cornélienne : Le souverain, c'est-à-dire le peuple, peut il mal faire ? Cette question se cristallise ainsi dans l’analyse des solutions apportées par la révision constitutionnelle de 2008, laquelle a institué le référendum d’initiative « partagée » en modifiant l’article 11 de la Constitution, mais également dans la lecture de la loi organique du 6 décembre 2013 portant application du même mécanisme. Le mécanisme français est le suivant : L'initiative prend la forme d’une loi proposée par au moins un cinquième des membres du parlement et portant, notamment, sur l'organisation des pouvoirs publics et sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation ou tendant à autoriser la ratification d'un traité. Le Conseil constitutionnel, ensuite, a la tâche de contrôler la conformité à la Constitution de la proposition ainsi que le respect des conditions de sa présentation. En cas de conformité, le ministre de l’Intérieur procède, dans un délai de 9 mois à compter de la publication au J.O.R.F de la décision du Conseil constitutionnel, au recueil par voie électronique des soutiens d’un dixième du corps électoral français (environ 4,3 millions de personnes). Dans le cas où la proposition obtient les soutiens escomptés, elle est alors déclarée recevable et doit être examinée une fois par chaque Assemblée dans un délai de 6 mois à compter de cette publication. Ce n’est qu’enfin dans l’hypothèse où la proposition n'a pas été examinée par le Parlement que le chef de l'État doit la soumettre à référendum sans délai. La complexité du mécanisme institué par la loi organique, véritable course d’obstacles juridiques, semble conforter l’analyse que Guy CARCASSONNE avait pu formuler à l’encontre de la modification de l’article 11 issue de la révision de 2008. Le constitutionnaliste se montrait extrêmement sceptique sur ce mécanisme. Il lui déniait même le nom de référendum ainsi que le caractère « partagé » de son initiative puisque d’une part la maîtrise du dépôt de la proposition de loi appartient exclusivement aux parlementaires, « les Français sont invités à soutenir, non à promouvoir ! » et que d’autre part, le recueil de ces soutiens ouvrirait le droit au Parlement de débattre de la proposition, occultant dans ce cas la procédure référendaire puisque ce « n’est qu’à défaut de cela que le chef de l’État la soumettrait au peuple ». Ainsi, à l’instar d’un Créon ne sachant plus comment agir lorsque l’oracle l’informa des visions qui étaient les siennes suite à la condamnation d’Antigone, les difficultés engendrées par le mécanisme méritent d’être posées. Dans la mesure où certains sujets dits « sensibles » peuvent entraîner un soutien populaire réel et conséquent via l’internet et les réseaux sociaux, comment doit réagir le représentant du souverain ? Les seules formations politiques capables de réunir un nombre suffisant de parlementaires seront-elles tenues de réfléchir, puis de discuter d’un texte dont l’adoption pourrait, dans le pire des cas, être à l’origine d’une fracture importante de la société française ? Le représentant du souverain doit-il, sans aucune réserve, se plier à la volonté de ce dernier ? Le dilemme est ainsi posé ! Sa résolution pourrait amener à un bien curieux paradoxe dont Sophocle avait déjà esquissé toute la subtilité. « Est ce le peuple qui va me dicter les ordres que je dois donner ? ». C’est au moyen de cette réplique donnée à son fils Hémon, implorant son père d’écouter la voix du peuple de Thèbes et de gracier Antigone, que Créon décida de la mort de celle qui fut sa nièce. Emmurée vivante, son décès entraîna sur la cité un souffle de mort semblable à celui dont elle fut la victime résignée. Le tyran perdit tout, sa propre femme et son fils, anéantis par une tragédie dont ils furent les acteurs malheureux. Le Roi était nu. Il ne disposa d’autre choix que de gouverner des hommes ne croyant plus en lui. Or faute d’être représenté, le souverain ne se contente pas de mourir, il tue ! Pour reprendre les termes du Professeur CARCASSONNE sur le référendum d’initiative populaire, il est en effet paradoxal de constater que « la consultation du suffrage universel semble être chose trop sérieuse [en France] pour la confier… aux citoyens. Comprenne qui pourra ! ». |
François WilinskiAvocat Archives
Décembre 2020
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